Les pratiques des internautes s’adaptent déjà à l’arrivée d’Hadopi
Pas encore appliquée, déjà invalidée : c’est – en résumé – le message des opposants à la loi Hadopi, l’autorité qui sera chargée d’envoyer des messages et, après deux avertissements, de couper l’accès des internautes qui téléchargent illégalement. Les anti-Hadopi s’appuient sur une étude récente du laboratoire de recherches M@rsouin, basée sur les résultats d’une enquête par téléphone auprès de 2 000 personnes, réalisée en Bretagne par téléphone fin 2009. Les chercheurs ont constaté que le vote de la loi, qui ne devrait entrer en application que mi-2010, a d’ores et déjà eu un impact sur le comportement des téléchargeurs, mais qu’il n’est pas tout à fait celui qu’espérait le gouvernement.
Le sondage montre qu’une partie des téléchargeurs a anticipé la mise en application du texte, et se tourne de plus en plus vers des systèmes d’échange de fichiers plus difficilement contrôlables que les réseaux peer-to-peer. Ce sont ces derniers qui sont visés en priorité par l’Hadopi. Parmi les personnes interrogées, 15 % affirment avoir cessé de télécharger sur ces réseaux, mais dans le même temps, les utilisateurs d’autres méthodes de téléchargement illégal (téléchargement direct, newsgroups…) augmentent dans des proportions similaires.
DISSUASION ET ÉVOLUTION DES TECHNIQUES
Peut-on pour autant en déduire que l’effet dissuasif de la loi est nul ? Pas exactement. Si les anti-Hadopi estiment, en se basant sur un chiffre de l’étude, qu’ »Hadopi a fait augmenter le piratage », une partie des données analysées ne sont pas statistiquement significatives. En additionnant les chiffres, les chercheurs du M@rsouin aboutissent bien à une augmentation de 3 % du nombre de personnes déclarant télécharger illégalement, mais ce pourcentage est calculé à partir d’une sous-partie de l’échantillon et ne représente que six personnes. « Ce chiffre de 3 % est peu significatif statistiquement, reconnaît Sylvain Dejean, l’un des auteurs de l’étude. D’ailleurs il ne figure pas dans les principales conclusions de l’étude. En revanche, nous avons constaté une hausse de 27 % de l’utilisation des modes de téléchargement autres que le peer-to-peer : c’est une tendance nette et statistiquement significative. » Une conclusion corroborée par d’autres indices indirects, comme l’augmentation des recherches sur Google pour des services de téléchargement direct.
La « peur du gendarme » aurait-elle facilité le développement de nouveaux moyens de téléchargement, au lieu d’inciter les internautes à cesser de télécharger ? Le M@rsouin note que pour l’instant, seuls 15 % des utilisateurs de réseaux peer-to-peer ont cessé de le faire, sachant qu’une partie d’entre eux s’est tournée vers d’autres moyens de téléchargement (les deux tiers d’après l’enquête, mais là encore l’échantillon est peu significatif statistiquement).
Les défenseurs de la loi notent de leur côté que l’Hadopi n’étant pas encore en place, il est beaucoup trop tôt pour tenter de tirer des conclusions sur l’efficacité de la loi. Une objection soulevée notamment par David El Sayeg, le secrétaire général du SNEP, qui regroupe les principales maisons de disques, dans une interview au site Electron Libre. »Il est avéré que le marché du numérique se développe de manière significative dans les pays qui ont mis en place une législation destinée à lutter contre le piratage sur Internet », martèle M. El Sayegh, qui note qu’en Suède, où un équivalent de l’Hadopi a été mis en place en avril 2009, le marché de la musique numérique a augmenté de 98 % l’année dernière.
LES AMBIGUÏTÉS DE L’EXEMPLE SUÉDOIS
En réalité, la situation suédoise est plus complexe. Certes, les ventes de musique numérique y ont presque doublé en 2009 et les ventes de musique y ont progressé pour la première fois depuis dix ans. Mais la corrélation avec la mise en place de la riposte graduée n’est pas évidente. Le téléchargement payant a progressé, mais ce sont les services de streaming légal (Spotify, Deezer…) qui ont le plus contribué à la hausse : leur part dans les revenus de la musique numérique est passée de 17 % à 46,1 % des revenus. Dans le cas suédois, une partie de la hausse des revenus de l’industrie musicale est donc liée au développement d’une offre payante attractive, et ne peut s’expliquer seulement par une baisse du téléchargement illégal.
De même, l’impact de la riposte graduée suédoise sur le téléchargement illégal est moins clair que ne l’affirment les éditeurs. En avril 2009, lors de la mise en place de la loi, le trafic Internet du pays a connu une brusque chute de volume, vraisemblablement liée à une réduction du trafic peer-to-peer, gros consommateur de bande passante. Mais sept mois plus tard, le trafic avait atteint à nouveau son niveau d’avant avril, et poursuit depuis sa croissance.
Lors des débats sur la loi Hadopi en France, la majorité avait mis en avant le caractère « didactique » de la riposte graduée, estimant que la peur de la sanction aurait un impact important sur les comportements à moyen terme. S’il faudra effectivement attendre la mise en place de la Haute Autorité pour avoir des éléments de bilan, l’exemple suédois et l’étude du M@rsouin tendent à montrer que l’impact pourrait être plus faible que ce qu’espèrent les partisans de l’Hadopi.
Source : Le Monde.