« Avec Spotify, l’internaute s’éloigne du piratage »
Jonathan Forster, un Anglais vivant à Stockholm, est à 33 ans le directeur général de Spotify, qu’il a rejoint dès 2007, quelques mois après sa création, et dont il fut le « premier employé non informaticien ». « Spécialiste du digital marketing », comme il se définit, il explique pourquoi le modèle de la start-up emblématique de la high-tech suédoise est le bon et va s’imposer.
Un peu plus de deux ans après votre lancement officiel, en octobre 2008, où en est Spotify ?
Avec 10 millions d’inscrits dans sept pays en Europe, dont 750 000 payants, nous sommes le premier site d’écoute de musique en ligne du continent. Bientôt, grâce à la facilité d’usage et d’accès de services comme Spotify, le piratage de la musique n’aura tout simplement plus lieu d’être.
Pardon ?
Nous avons trouvé le bon « mouse trap » (piège à souris), comme on dit dans le métier (rires), pour amener les internautes à une nouvelle forme de consommation musicale et les détourner d’un piratage qui devient de plus en plus coûteux dans tous les sens du terme. Notre conviction, c’est que la possession ou le téléchargement de musique en ligne et sur mobiles vont être vite dépassés par des services de streaming comme Spotify, disponibles partout et tout le temps. Nous voulons apporter la preuve qu’il existe des solutions technologiques capables de mettre fin à la crise dans laquelle se débat le secteur depuis une dizaine d’années.
Quels enseignements peut-on tirer de l’évolution du marché scandinave, le plus mature pour Spotify, celui à partir duquel vous avez commencé à rayonner ?
Ils sont très positifs. Le marché suédois, longtemps plombé par la présence de Pirate Bay, renoue avec l’optimisme. Plusieurs labels ont déclaré récemment que leurs revenus issus du numérique étaient désormais supérieurs à ceux du marché physique. La transition va à toute vitesse. Nous avons 1 million d’abonnés en Norvège, pratiquement 25% de la population du pays est branchée sur Spotify !
La part des abonnés payants parmi vos 10 millions d’inscrits reste encore très minoritaire…
C’est normal, on est au tout début de l’histoire. Le nombre de nos usagers basculant en payant s’accélère de mois en mois, et la plupart choisissent la formule la plus chère, qui permet d’utiliser Spotify sur son mobile et de se promener avec 10 millions de titres en permanence dans la poche. À 10 euros par mois, soit 2,5 euros par semaine, moins cher qu’un cappuccino à Stockholm.
Les maisons de disque, en France, ne croient pas au streaming gratuit financé par la pub. Elles pensent que ce modèle n’est pas pérenne et qu’il développe des mauvaises habitudes. Votre avis ?
Une mauvaise manière de voir les choses. L’internaute qui utilise gratuitement Spotify s’éloigne du piratage, c’est fondamental. Ensuite, ce sont nos utilisateurs gratuits qui, après avoir découvert le service, vont se mettre à payer. Plus la base de Spotify s’élargit, plus nos recettes issues des abonnés payants et partagées avec les producteurs et ayants droit grossissent. Enfin, Spotify est une formidable vitrine pour les maisons de disques et leurs artistes, là aussi gratuite.
Le gratuit a donc un grand avenir…
Il ne faut pas rêver, tout le monde ne va pas se mettre à payer demain. Beaucoup se contenteront d’une écoute gratuite, plus limitée. Pour eux, c’est le modèle de la radio, basé sur la publicité et qui a fait toutes ses preuves, qui s’appliquera. Google, par exemple, tire 21 dollars [15 euros, ndlr] par an en revenus publicitaires de chacun des internautes qui l’utilisent à longueur de journée, pourquoi voulez-vous que les services de musique en ligne n’y arrivent pas ? En Suède, ce débat est désormais clos, plus personne n’en parle ; tout simplement parce que l’on a prouvé concrètement à nos partenaires du monde de la musique que ce modèle fonctionne.
Source : Paru dans Libération du 24 janvier 2011