Justice : l’adresse IP n’identifie pas le contrefacteur
Voilà un an, la Cour de cassation rendait un arrêt important en matière de collecte d’adresse IP dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon. Dans un arrêt du 13 janvier 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation exposait que les PV dressés par les agents assermentés des ayants droit pouvaient parfaitement se passer de l’autorisation de la CNIL : il suffit que la collecte de données se fasse « à la main » pour échapper au contrôle du gendarme du traitement automatisé des données personnelles.
Dans cette affaire, un agent assermenté avait repéré en janvier 2005 un internaute sur LimeWire, qui échangeait des milliers de titres du catalogue de la SACEM et la SDRM. L’adresse IP est relevée manuellement depuis le logiciel où un échantillon de 19 titres est téléchargé, pour être versé au dossier pénal. S’en suivent une réquisition, une perquisition où sont récupérés 2890 fichiers, et une plainte en contrefaçon.
4 décisions consécutives
En première instance, le tribunal condamne l’internaute pour contrefaçon à 2000 euros d’amende dont 1000 avec sursis en plus de la confiscation de ses CD et de son ordinateur. À cette somme, s’ajoutèrent près de 3000 euros de dommages et intérêts au profit de la SACEM et de la SDRM.
La Cour d’appel de Rennes annule cependant la procédure : l’adresse IP est une donnée indirectement nominative, car « si elle ne permet pas par elle-même, d’identifier le propriétaire du poste informatique, ni l’internaute ayant utilisé le poste et mis les fichiers à disposition, elle acquiert ce caractère nominatif par le simple rapprochement avec la base des abonnés, détenue par le FAI ». Faute d’avoir eu d’autorisation préalable de la CNIL, toute la collecte de preuve tombait à l’eau : « en l’absence d’autorisation préalable de la CNIL pour procéder à ces opérations, les constatations (…) portent atteinte aux droits et garanties des libertés individuelles que la loi du 6 janvier 1978 a pour but de protéger et aux intérêts du prévenu. »
La Cour de cassation cassait cette décision : un repérage peut se passer de l’autorisation de la CNIL lorsqu’il n’y a pas d’automatisme dans le traitement de données. Dans cette affaire, dit la Cour de cassation, « les constatations visuelles effectuées sur internet et les renseignements recueillis (…) par un agent assermenté » l’ont été « sans recourir à un traitement préalable de surveillance automatisé ». L’affaire était renvoyée devant la Cour d’Appel de Paris.
Finalement, la Cour d’Appel de Paris n’a pas fait de résistance : « relever l’adresse “IP” pour pouvoir localiser son fournisseur d’accès en vue de la découverte ultérieure de l’auteur des contrefaçons (…) ne constitue pas un traitement automatisé de données à caractère personnel. » (la décision chez Legalis).
L’adresse IP n’identifie pas l’auteur de l’infraction
Les juges iront plus loin que la Cour de cassation : ils soulignent au surplus que le relevé de l’adresse “IP” de l’ordinateur ayant servi à l’infraction entre « dans le constat de la matérialité de l’infraction et pas dans l’identification de son auteur ». Ce sont seulement la plainte de la SACEM puis l’enquête auprès du FAI qui ont conduit à l’identification de l’internaute, « utilisateur de l’ordinateur ayant servi au téléchargement frauduleux, le titulaire de l’adresse “IP » n‘étant d‘ailleurs par le contrefacteur » (l’accès avait été prêté).
Dans ces conditions, le simple relevé de l’adresse IP échappait à l’emprise de la CNIL et pour la justice, dans ce schéma, l’adresse IP se raccroche uniquement à la démonstration de la matérialité de l’infraction, non à l’identification de l’auteur.
Pas de copie privée sur les réseaux P2P
Pour le téléchargement des fichiers (2890 mp3 avaient été trouvés chez lui), la Cour d’Appel estimera qu’il s’agissait là d’autant de contrefaçons, l’internaute ne pouvant s’abriter derrière l’exception copie privée : « il est incontestable que l’exception de copie privée n’est pas applicable au téléchargement, le but de l’utilisation du logiciel “pair à pair” étant justement le partage et l’échange de fichiers entre internautes constituant un réseau ». On en déduit que dans le cadre d’une liaison « privée » entre deux internautes, les conclusions de la Cour auraient pu être différentes.
Finalement, la cour d’appel confirme le jugement du 7 mai 2007 et ajoute la somme de 800 € au titre des frais engagés par les ayants droit pour l’appel.
Dans tous les cas de figure, la loi HADOPI rend cette décision déjà historique : avec la loi HADOPI ce n’est plus le contrefacteur qui sera mécaniquement puni, mais aussi le titulaire de la ligne qui risque désormais une suspension d’accès.
Source : PCInpact.